un homme qui réfléchit

LES DISTORSIONS COGNITIVES : NOUS SOMMES CE QUE NOUS PENSONS

C’est à partir de son observation et de son travail sur les dépressifs qu’Aaron Beck développe sa thèse des schémas cognitifs.

Il s’aperçoit que les événements externes sont d’abord interprétés sur le plan cognitif, engendrant une pensée automatique qui elle, va engendrer une émotion. Il va décrire ce que d’autres avant lui avait expliqué (Lazarus, Ellis, Arnold) le système cognitif en théorisant que les cognitions priment sur les émotions.

Ainsi, c’est parce que nous avons une cognition inadaptée que nous interprétons de façon inadaptée une situation.

Les pensées automatiques négatives sont des erreurs cognitives qui sont un aspect central du trouble émotionnel, c’est à dire un aspect central de tout malaise ressenti face à certaines situations que nous vivons et que nous interprétons.

Lorsqu’une situation nous gêne, certaines personnes commencent par s’en sentir coupables et pensent : « je ne suis pas bon, je suis en échec, rien ne me réussit ». Elles ne réagissent pas à la situation, mais à l’interprétation qu’elles font de la situation.

En fait, nous avons tous tendance à penser que nos sentiments sont acquis et les pensées qui les engendrent sont acquises également.

Le fait de penser souvent que nous sommes nuls et en échec, nous conduit à correspondre à ce que nous pensons.

L’émotion de peur, de colère ou de honte engendrée par cette pensée automatique va nous conduire à nous comporter de façon à ce que l’autre nous perçoive tel que nous pensons l’être, c’est à dire « pas bon, en échec ». Et toutes les situations qui vont ressembler à celle qui nous a envoyé cette pensée automatique sur nous mêmes, vont durcir les interprétations négatives et nous mettre dans un état de malaise général qui peut conduire peu à peu, à un état d’anxiété ou de dépression.

Ces pensées et ces habitudes de pensées sont des « distorsions cognitives », des opérations inconscientes qui appartiennent à notre système cognitif.

On répartit généralement ces distorsions en 3 groupes, avec de nombreuses variations individuelles :

1. La surgénéralisation

2. La conclusion hâtive

3. Le raisonnement irrationnel.

Expliquons et prenons des exemples pour illustrer chaque groupe.

La surgénéralisation

C’est la distorsion la plus fréquente parce qu’il est toujours beaucoup plus simple et plus rapide de réfléchir aux nouvelles expériences par rapport à ce que nous connaissons déjà. C’est en fait un apprentissage nécessaire. Or, quand les expériences passées ont été négatives, notre interprétation de la nouvelle situation qui ressemble à celles déjà connues, nous la fera interpréter tout aussi négativement. On généralise notre expérience à toutes celles qui viennent ensuite. Ce raisonnement est la base de la stéréotypie.

Quand la surgénéralisation s’applique à nous mêmes, nous nous stéréotypons tout seul.

Aline est célibataire et solitaire. Ses expériences amoureuses passées ont toujours tourné court. Elle ne parvient plus à sortir de sa routine pour rencontrer de nouvelles personnes parce qu’elle pense que, de toute façon, tout le monde est superficiel et personne ne veut s’engager dans une relation durable. 

En rencontrant de nouvelles personnes, elle pense au passé et conclut : « je suis nulle et inintéressante ». Sa tristesse va interpréter la situation comme inutile et sans espoir et son comportement va montrer qu’il est inutile et sans espoir d’entamer une relation avec elle. 

Dans ce groupe, on a l’habitude de classer également les distorsions de

filtre mental

Un seul aspect négatif peut faire interpréter toute la situation négativement.

Linda transmet à son supérieur un rapport. Il lui revient avec des annotations, soulignant quelques phrases à reformuler. Furieuse, Linda va voir son supérieur et lui demande : 

– Pourquoi trouvez vous que mon rapport est nul ? 

– Où avez vu ça ? Je n’ai jamais dit ça. 

– Mais vous soulignez tout ce qui ne va pas. 

– Oui et qu’ai-je mis tout en haut du rapport ? 

Linda lit alors l’annotation « très bon rapport. Merci ». 

L’aspect négatif avait filtré l’aspect positif parce qu’elle a eu immédiatement comme pensée automatique en recevant son rapport : « je suis une incapable ». Elle a donc interprété la situation comme la preuve de son incapacité qu’elle croit avoir pour se prouver qu’elle avait raison de penser ce qu’elle pensait d’elle même.

exagération (augmenter ou minimiser)

C’est la distorsion préférée des perfectionnistes. Elle les conduit à interpréter les résultats positifs comme inférieurs à ce qu’ils sont réellement et à interpréter les résultats négatifs comme plus importants que ce qu’ils sont réellement.

Jean joue au tennis. Il a un jeu remarquable pendant le match. Ses co-équipiers le félicitent. Jean répond qu’il a eu beaucoup de chance et que sa performance est uniquement due à cela. Jean tenait à faire une partie « parfaite » en pensant : je ne suis pas parfait. Comme on ne peut pas l’être, Jean a cherché à interpréter la situation comme le résultat de cette impossibilité à être parfait. La moindre petite faute de jeu va prendre des proportions de catastrophe. 

tout ou rien

C’est la forme extrême de la distorsion précédente. Jean pourrait se dire :  » il y a des failles dans mon jeu. Or, j’ai travaillé dur pour tenter d’être parfait. J’ai donc perdu mon temps et cette partie était inutile. »

disqualification du positif

Toutes les preuves du positif vont être escamotées. Si vous avez vu quelqu’un de mauvaise humeur un jour, vous avez alors une bonne idée extérieure de cette distorsion. La discussion ne peut pas devenir rationnelle. Elle est bloquée au niveau de la pensée automatique négative, souvent sans rapport avec la situation présente.

Jeanne s’est pesée ce matin. Elle a constaté qu’elle avait pris 1 kg. Triste et en colère contre elle même, elle essaie de vivre sa journée en oubliant cette prise de poids. Le soir, son mari lui apporte l’album photo de leurs vacances. Sur les photos d’elle, on ne la voit le plus souvent qu’en gros plan et son mari s’attarde sur ces portraits. Plus il lui dit qu’elle est très jolie et plus Jeanne se renfrogne. Sa pensée automatique « Je suis grosse » envahit la situation, ravivant son émotion de colère et occultant complètement la réalité et la sincérité du compliment. Si son mari lui demande la raison de sa mauvaise humeur, elle répondra : « Tu me dis ça pour me faire plaisir ».

J’ai dit que l’on répartissait généralement ces distorsions en 3 groupes et j’ai explicité le premier groupe : la surgénéralisation.

Je vais donc évoquer ici le second groupe : la conclusion hâtive avant de voir dans un autre article le troisième : le raisonnement irrationnel.

La conclusion hâtive

Cette distorsion cognitive consiste à aller au-delà des preuves pour parvenir à une conclusion qui montre les situations encore plus négatives qu’elles ne le sont.

On voit trois formes de conclusion hâtive, qui, toutes, peuvent mener au phénomène de prophétie auto-réalisatrice.

1. l’étiquetage

Cette distorsion nous entraine à appliquer un terme négatif à une situation ou à une personne. C’est une forme de généralisation excessive qui nous permet de catégoriser les gens. Cet étiquetage peut s’appliquer à soi-même, quand nous généralisons un trait que nous pensons avoir.

Paul est un commercial qui a de bonnes compétences reconnues en prospection, suivi de clientèle, argumentation et organisation. Mais il répète souvent : « Je ne suis pas bon dans le domaine technique ». Si je lui demande d’expliquer ce qui lui faire dire ce jugement de lui, Paul me dit tout de suite : « On me l’a toujours dit ». D’une mauvaise expérience passée basée sur un conflit entre un technicien et lui, il y a plusieurs années, il s’est forgé une étiquette, qui finit par le rendre mal à l’aise dans son travail. Cet auto-étiquetage est maintenant un jugement négatif sur lui qui vient s’intercaler entre la réalité et l’émotion pour devenir une pensée négative. Si je tente de faire expliciter à Paul ce sentiment d’incompétence qu’il pense avoir, il ne parvient pas à trouver de bons exemples valides, ni à déterminer en quoi il se juge incompétent dans le domaine technique. Le « on me l’a dit » justifie l’étiquette qu’il se donne et donne aux autres.

Les étiquettes négatives que nous nous appliquons sont très souvent vagues voire ambigues. C’est une vérité qui n’a pas de fondement. En cherchant des preuves, on s’aperçoit vite qu’il n’y a pas de véritable raison.

2. la lecture de l’esprit

C’est le fait de supposer que les autres pensent immédiatement à vous comme quelqu’un de négatif ou faisant des choses négatives. Dans cette distorsion, on utilise un filtre mental qui va éliminer tous les signes positifs lancés par les autres et ne s’attarder que sur les signes négatifs.

Par exemple, je peux imaginer que ce que j’écris est inutile car on trouve les mêmes notions ailleurs et que personne ne pourrait changer ou modifier ses croyances par la seule lecture de mon article. Mon écriture va alors devenir académique, ennuyeuse et je ne parviendrai pas à argumenter. C’est en plus, dans une certaine mesure, insulter mes lecteurs que penser à leur place et ne pas les croire capables de penser par eux mêmes. La pensée de croire mon article inutile est sans preuve puisque je ne demande pas l’avis de mes lecteurs. Je peux donc rester sur cette seule pensée négative de moi.

3. la prédiction

Une autre forme de conclusion hâtive est de ne penser les situations futures qu’en envisageant le pire. « Je sais que ça va pas marcher ! »

Cette distorsion est particulièrement dangereuse parce qu’elle peut vraiment devenir une prophétie auto réalisatrice. Si vous pensez que quelque chose que vous entreprenez ne va pas marcher, que vous n’allez pas réussir, alors votre comportement va s’orienter pour ne pas réussir.

Martine est inscrite sur des sites de rencontres en ligne. Mais elle me dit qu’elle ne va jamais rencontrer un homme qui l’apprécierait et l’aimerait parce qu’elle se trouve trop grosse. En discutant, elle m’avoue qu’elle s’est décrite avec « quelques kilos en trop », sans savoir comment justifier le « en trop » par rapport à une norme. Le « en trop » est par rapport à son idée à elle et non par rapport à ce qui est généralement décrit. Ainsi, elle rencontre des hommes attirés par les femmes avec des kilos en trop qui ne voient pas en elle, ce qu’ils attendent. De ce fait, Martine ne rencontre aucun homme qui lui plait et à qui elle plait et en conclut : « ça ne marchera jamais ».

Dans cette partie, j’aborde le troisième et dernier groupe des distorsions, celui des distorsions basées sur un raisonnement émotionnel.

Le raisonnement émotionnel

Rappelons que les distorsions sont basées sur des pensées automatiques, des pensées dont nous n’avons pas conscience mais qui font partie de notre fonctionnement cognitif et qui sont le reflet de ce que nous pensons de nous, à un moment donné, dans une situation donnée.

Ces pensées automatiques peuvent devenir conscientes assez facilement pour peu que l’on prenne le temps et le désir de les examiner. Ce sont souvent des jugements négatifs que nous portons sur nous mêmes et qui n’ont très souvent aucun appui raisonnable. Cela peut être : « je suis nul », « je suis ne suis pas capable de… » « je suis un imposteur ».

Quand elles arrivent à notre conscience, nous pouvons travailler sur leur fondement et les remplacer par des pensées rationnelles, c’est à dire des pensées qui contredisent les pensées automatiques, mais qui sont basées sur une objectivité de ce que l’on a déjà réalisé. Les pensées automatiques sont fausses, les pensées rationnelles sont vraies. Les pensées automatiques engendrent une émotion. Les pensées rationnelles engendrent un sentiment sur des faits.

Mais ce travail n’est pas suffisant parce que les pensées automatiques ont engendré une émotion et que c’est cette émotion qui nous fait interpréter la situation. Si bien que si, nous nous contentons de remplacer les pensées automatiques par des pensées rationnelles sans intervenir, sans reconnaitre et gérer les émotions qui sont engendrées par les pensées automatiques, le raisonnement n’est pas rationnel, mais émotif et dans ce raisonnement émotif, on continue à tenir pour acquis la pensée automatique qui cause l’émotion négative. Notre raisonnement est basé alors sur l’émotion négative.

Or, le raisonnement émotif a la particularité d’amplifier les effets des distorsions cognitives parce qu’il nous apporte la preuve que nous avons raison de penser ce que nous sommes.

Imaginons une situation qui vous stresse, vous rend nerveux et anxieux. Vous pouvez avoir comme pensée automatique : « je ne réussis jamais ». Vous reconnaissez l’émotion de peur qu’engendre cette pensée et vous poursuivez votre raisonnement sur la base de cette émotion. « Je suis nerveux et j’ai peur d’échouer. C’est donc la preuve que j’ai raison de penser que je vais échouer parce que sinon je n’aurais pas peur. » Vous pensez que la peur est la raison de votre pensée automatique. Et bien sûr, vous allez échouer pour prouver que vous aviez raison de penser que vous alliez échouer. C’est aussi bien sur, non pas parce que vous vous direz « je dois réussir, il faut que je réussisse » que vous réussirez, mais parce que vous chercherez dans votre expérience des raisons de votre réussite que vous réussirez. « Je me suis bien préparée » est la pensée rationnelle qui devrait par exemple remplacer la pensée automatique.

Revenons sur la pensée émotionnelle qui vous a fait raisonner dans le sens de la preuve de votre futur échec. Sans avoir réfléchi sur la peur elle même, vous avez pris la peur dans sa globalité : la peur de la situation. Mais souvent, en cherchant le fondement de cette peur, vous trouvez que la peur est beaucoup plus ciblée, beaucoup plus précise. La peur de ne pas être compris par exemple. Quand la preuve n’est plus fondée sur l’émotion, la preuve devient un fait et les faits peuvent être raisonnés.

L’émotion nous trompe car elle nous embarque dans l’interprétation de la situation par rapport à elle.

Il y a deux types spécifiques de raisonnement émotionnel.

1. Je dois tout faire moi même

En anglais, Albert Ellis appelle cette distorsion le « musterbating » et Clayton Barbeau le « shoulding yourself ».

La pensée automatique de cette distorsion est celle de vous dire que vous devez faire quelque chose de différent de ce que vous êtes en train de faire parce que vous devez le faire. Il faut évidemment la différencier des obligations qui nous contraignent à faire ce que nous devons faire et non pas forcément ce que nous voulons faire. Là ce sont des conclusions rationnelles.

Pour différencier la pensée automatique de la pensée rationnelle, le plus facile est de se demander pourquoi on doit faire ce que l’on se sent obligés de faire.

« Je dois lui parler » peut être une pensée automatique. Mais si » je dois lui parler sinon il ne sait pas ce que je pense », alors cette pensée est une déclaration sur des faits et n’est pas ce que l’on appelle une pensée automatique engendrant une émotion négative.

Les « je dois, je devrais, il faut que… » sont des pensées automatiques si le résultat est la procrastination. Si chaque fois que je pense que je dois lui parler et que, ne le faisant pas, je me sens coupable et déprimé, je vais faire tout pour penser à autre chose, et surtout éviter de faire ce que je pense devoir faire.

Si on examine la pensée dans sa totalité, cela pourrait donner : « Je dois lui parler et il va penser que je suis encore inquisitrice et que je le bloque. » Plus la pensée est « je dois » et moins on le fera. On n’a pas envie de faire ce que nous pensons devoir faire ce qui nous fait mal et nous renvoie une pensée négative sur nous mêmes.

Quand nous étions enfants, il était nécessaire de nous dire : « tu dois » pour nous dire de faire ce que nous devions faire et que nous n’avions pas envie de faire. Devenus adultes, nous avons le choix de faire ou de ne pas faire. Mais quelque soit le choix, nous devons assumer.

Une façon de casser cette emprise du « je dois faire » est celle de poursuivre cette pensée automatique en ajoutant à « je dois » le « je choisis de… » On ne remplace par « je dois » par « je choisis », mais ajoute bien « je dois » à « je choisis ». Ainsi vous avez le choix de dire « Je dois le faire et je choisis de le faire » ou « Je dois le faire et je choisis de ne pas le faire ». Rapidement, vous vous apercevrez que si vous optez pour « Je dois le faire et je choisis de ne pas le faire », vous ne croyez pas vraiment que vous devez le faire.

Un « je dois » mène à la culpabilité. Un « je choisis de » mène à la responsabilité.

2. La personnalisation ou le blâme

Cette distorsion cognitive est à placer aux deux extrêmités du sentiment qui suit une situation négative. C’est la façon dont nous avons l’habitude d’interpréter les causes des situations.

Le style d’explication peut être tourné vers la personnalisation ou vers le blâme. Dans le premier cas, on pense que les causes sont internes, tout est de notre faute. Dans le second cas, on pense que les causes sont externes, tout est de la faute des autres.

Prenons l’exemple d’une femme qui face à l’infidélité de son conjoint pense que son mari la trompe parce qu’elle ne lui apporte pas tout ce qu’il désire. Elle personnalise ce qui arrive, c’est à dire qu’elle se rend entièrement responsable et croit que la situation est uniquement contrôlée par elle. La pensée automatique dans ce cas là est basée sur une mauvaise estime de soi, du genre « je suis stupide » « je ne vaux rien ».

Mais si à l’inverse, elle pense que son mari la trompe parce qu’il est inconséquent, elle rejette toute la situation sur son conjoint, le blâme et ne prend aucune part à la situation.

Il faut en examinant les causes, un juste équilibre entre l’interne et l’externe, entre l’optimisme et le pessimiste. L’optimisme est nécessaire pour avancer, le pessimisme est utile pour planifier les conséquences. Et c’est le niveau de l’estime de soi qui donne l’équilibre en ajustant les pensées sur les faits et non sur les émotions.