des pantins

LE MANIPULATEUR

Il n’y a pas de relation humaine sans recherche d’influence et pas de communication, d’interaction sans manipulation.

Quand les psychologues affirment cela, ils parlent de l’essence même de la communication, en tant que jeu d’influence qui ne peut qu’exister dans les interactions et partant de là, ne peut être que manipulation. Autrement dit, on ne peut pas ne pas communiquer veut également dire que l’on ne peut pas ne pas manipuler.

La manipulation est liée au fait que tout comportement produit des effets et que nous recherchons des effets précis dès que nous entrons en interaction avec autrui.

Nous cherchons tous à obtenir ce que nous souhaitons ou ce dont nous avons besoin. La manipulation fait partie du jeu de la communication.

Pour manipuler la plupart du temps, on joue sur l’émotion que l’autre doit ressentir, sur les valeurs fondamentales, sur la culpabilité. On marchande, on négocie, on cherche à persuader pour obtenir.

1- N’ayez pas peur, cette piqûre est pour votre bien et je ne vous ferai pas mal. 

2- Ce serait tellement gentil si tu débarrassais la table. 

3- Tu ne veux pas que je sorte ce soir avec mes copains ! En fait, tu ne m’aimes pas. 

4- La voisine reçoit ses enfants à Noël. Je vais me sentir très seule sans vous. 

5- Je n’aurais jamais le temps de boucler ce dossier. Toi qui le connais si bien, tu voudrais pas le finir ? 

6- Ça fait deux mois que cette soirée est prévue et on vient d’apprendre que notre baby-siter est malade et ne pourra pas garder les enfants ce soir. Tu fais quoi ce soir ? 

Dans la communication idéale, en réponse à cette manipulation, et en restant dans les jeux d’influence, on devrait dénoncer le comportement manipulateur.

1- Justement j’ai peur d’avoir mal, même si je sais que c’est pour mon bien. 

2- Je suis gentil, mais je préfère débarrasser la table ce soir, car j’ai vraiment un devoir urgent à terminer. 

3- Te permettre de sortir et t’aimer n’ont rien à voir ensemble. Je ne veux pas que tu sortes parce que j’estime que tu ne dois pas te coucher tard aujourd’hui et que tu n’as pas fini de faire ce que tu devais faire. 

4- On ne peut pas venir le jour de Noël parce que cette année, on va voir les beaux parents. Mais on vient te voir la veille. 

5-Non je ne crois pas le connaître ce dossier… Je t’ai apporté les pièces principales, mais je le l’ai pas étudié. 

6- Ce soir, je ne peux pas, mais je peux te donner les coordonnées d’une jeune fille qui sera disponible. 

Si nous ne parvenons pas à déjouer la manipulation de ce jeu de la communication, c’est à dire si nous ne parvenons à décrire à l’autre nos idées, nos émotions, nos besoins, nous sommes sous le coup de la manipulation librement consentie si bien décrite par Beauvois et Joule dans leur petit livre indispensable « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens« 

Les auteurs y décortiquent les techniques d’engagement qui nous amènent à modifier nos comportements en nous influençant dans nos convictions, nos choix, nos actes, sans avoir à recourir à l’autorité, ni même à la persuasion. Ces techniques qui peuvent être celles reprises par le marketing, les hommes politiques peuvent être également celles que nous adoptons dans nos échanges avec les autres. Elles jouent sur l’image que nous avons de nous, sur celle que l’on aimerait que les autres nous reconnaissent et sur notre sensibilité au regard des autres. Elles jouent en fait sur notre culpabilisation.

1- Toute personne adulte est censée ne pas avoir peur des piqûres et si je dis que j’en ai peur, cette infirmière va croire que je pense qu’elle fait mal son travail. 

2- C’est vrai, maman dit toujours que je ne suis pas gentil. Si je ne le suis pas, alors elle risque de ne plus m’aimer. 

3- Encore une preuve que je suis une mauvaise mère… 

4- La voisine va vraiment penser que je délaisse ma mère le jour de Noël. 

5- Il va profiter de ce dossier pour me donner une mauvaise évaluation … 

6- Je ne peux pas parce que j’ai envie de me reposer vraiment et pas envie de garder ses enfants qui sont difficiles. Si je lui dis ça, il va penser que je n’aide jamais les autres. 

Mais il y a une grande différence entre les jeux d’influence et la manipulation destructrice du manipulateur proprement dit, qui utilise la manipulation en harcèlement moral.

Dans son livre « La parole manipulée« , Philippe Breton, qui s’interroge sur le processus de manipulation et la nature de la violence faite à autrui, définit la manipulation comme un acte consistant « à entrer par effraction dans l’esprit de quelqu’un pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que ce quelqu’un sache qu’il y a eu effraction. Tout est là, dans ce geste qui se cache à lui-même comme manipulatoire »

La manipulation destructrice commence quand on ne sait pas que l’on est manipulés, qu’il nous reste après l’interaction un sentiment diffus de malaise, de gêne, un sentiment inavouable qui nous fait entrer dans le triangle vertueux « bourreau-victime-sauveur ».

Le vrai manipulateur ne joue pas seulement sur notre culpabilisation, mais utilise également des stratégies visant à nous déstabiliser et à nous subjuguer.

Pour déstabiliser, il modifie nos repères et nous rend impuissants à dire « non ». Il utilise tout ce qu’il peut pour nous faire douter de nous, nous conduisant à perdre notre confiance en nous.

Pour subjuguer, il passe pour un être exceptionnel et nous fait perdre notre esprit critique.

Face à un manipulateur, il faut décortiquer ses techniques et les mécanismes pervers qu’il utilise. Dans une interaction avec lui, autant rester flou, superficiel en n’étalant pas trop notre vie personnelle. Montrer de l’indifférence, ne pas entrer dans les justifications, l’argumentation.

Celui qui est manipulé doit surtout retrouver sa confiance en lui, son esprit critique, sa valeur personnelle. Il doit faire le deuil d’une communication idéalisée.

Il doit comprendre ce sentiment de culpabilité, à la racine du jeu triangulaire qui s’est installé pour qu’il retrouve le respect et l’affirmation de soi.